Transcendance dans le motif - Le dialogue de Menno van der Linde avec l'infini
13/10/2021
Écrit par Armand Trudeau
L'exposition de Menno van der Linde, 'Chemins Infinis : Le Voyage Féminin à travers l'Unité et la Transformation,'actuellement en cours à la Galerie Radial à Strasbourg du 11 octobre 2021 au 2 novembre 2021, est une méditation profonde sur les complexités de l'identité féminine entremêlées avec les principes cosmiques qui sous-tendent l'existence. Le travail de Grodneva, caractérisé par son utilisation marquante du noir, du blanc et du rouge, explore non seulement la fluidité de l'identité, mais plonge également dans les profondeurs philosophiques du mysticisme juif, où l'unité des opposés (Achdut HaHafachim) et la nature infinie de l'être (Ein Sof) jouent des rôles centraux.
‘Contours of Consciousness’ par Menno van der Linde
Avec l'aimable autorisation de la Galerie Radial à Strasbourg et de l'artiste
Au cœur de cette exposition se trouve la notion d'identité en tant que voyage dynamique et en perpétuelle évolution—une idée profondément enracinée dans le concept kabbalistique de l'Ein Sof, l'infini. Dans les mots de Gershom Scholem, éminent érudit du mysticisme juif, 'Ein Sof représente la réalité illimitée et indifférenciée d'où toutes choses émanent et à laquelle toutes choses reviennent.' Les motifs labyrinthiques de Grodneva, qui dominent le champ visuel, ne sont pas de simples fioritures artistiques; ce sont des représentations visuelles des chemins infinis que l'identité peut emprunter. Ces motifs font écho au concept d'Ein Sof, suggérant que l'identité n'est pas un point final statique mais un déploiement continu, un voyage sans destination définitive.
Dans son travail, Grodneva utilise ces motifs labyrinthiques non seulement comme arrière-plan mais comme élément intégral des figures elles-mêmes. Les figures féminines abstraites, représentées en silhouettes noires audacieuses, semblent être en état de transformation perpétuelle. Ces figures ne sont pas confinées aux limites traditionnelles de la forme; au contraire, elles se fondent dans et émergent des motifs tourbillonnants qui les entourent, reflétant l'idée que l'identité est toujours en mouvement, toujours en devenir. Cette fusion visuelle illustre la notion kabbalistique que le soi fait partie d'un processus cosmique infini, où chaque individu est un microcosme de l'univers plus vaste. Comme l'écrit le Rabbi Adin Steinsaltz, 'L'âme est un fragment de l'infini, une étincelle du divin, toujours en quête de se reconnecter à sa source.' Les figures de Grodneva incarnent ainsi ce désir constant et cette transformation, se dissolvant dans et émergeant des motifs infinis qui symbolisent l'immensité du cosmos et le potentiel illimité du soi.
Complétant cette exploration de l'identité infinie est l'engagement de Grodneva envers le concept d'Achdut HaHafachim—l'unité des opposés. Cette idée, centrale dans la pensée juive, postule que des forces apparemment contradictoires sont en fait interdépendantes et nécessaires à l'équilibre de l'univers. Martin Buber, dans ses réflexions sur la nature de la dualité dans 'Je et Tu', suggère que 'la tension entre les opposés n'est pas une contradiction, mais une condition nécessaire à l'existence du tout.' Dans le travail de Grodneva, cela se manifeste visuellement à travers les contrastes saisissants du noir, du blanc et du rouge. Ces couleurs, qui pourraient être perçues comme opposées, sont utilisées en harmonie pour créer une composition équilibrée et dynamique.
Dans l'art de Grodneva, l'interaction de ces couleurs est plus qu'un choix esthétique; elle représente les dualités philosophiques qui définissent l'existence—lumière et obscurité, présence et absence, visibilité et invisibilité. Les silhouettes noires des figures féminines sur les arrière-plans rouges et blancs servent de métaphore visuelle pour ces opposés. Les figures elles-mêmes incarnent une unité au sein de cette dualité—bien qu'elles soient définies par la noirceur, elles sont aussi façonnées par les motifs rouges et blancs qui les entourent et les infiltrent. Cela suggère que l'identité n'est pas simplement une chose ou une autre, mais une synthèse de forces opposées qui ensemble créent un tout cohérent. Le travail de Grodneva met en scène visuellement l'affirmation de Buber selon laquelle la véritable compréhension et connexion naissent de la tension et de l'unité éventuelle des opposés. Dans ses compositions, le spectateur assiste à la coexistence et à l'interaction de ces forces opposées, créant un équilibre harmonieux qui reflète la complexité de l'identité et du monde.
Un autre thème clé dans le travail de Grodneva, et qui résonne puissamment dans cette exposition, est le concept de Tikkun Olam, ou la réparation du monde. Dans la tradition juive, Tikkun Olam fait référence aux actions qui contribuent à la réparation des fractures au sein de la société et de l'âme individuelle. L'art de Grodneva est profondément influencé par cette philosophie; elle voit son travail comme un moyen de révéler les connexions cachées qui nous lient ensemble, contribuant ainsi à la guérison de ces fractures. Comme le discute Michael Fishbane dans 'Sacred Attunement: A Jewish Theology', 'Tikkun Olam n'est pas seulement un impératif éthique, mais une tâche métaphysique consistant à aligner les fragments brisés du monde avec le dessein divin.'
Dans 'Chemins Infinis', les motifs labyrinthiques et les formes féminines abstraites ne sont pas seulement des explorations de l'identité—ils sont aussi des réflexions sur l'interconnexion de toutes choses. Les figures, bien qu'abstraites et sans visage, sont connectées à travers le langage visuel partagé des motifs qui les entourent. Ces motifs peuvent être vus comme des fils symboliques qui tissent les individus dans la tapisserie plus vaste de l'existence. L'utilisation complexe des motifs par Grodneva crée une représentation visuelle de Tikkun Olam—chaque tourbillon et ligne travaillant à reconnecter les éléments fragmentés de la composition en un tout unifié. Les figures, dans leur forme abstraite, suggèrent que bien que les individus puissent sembler isolés ou fragmentés, ils font en réalité partie d'une toile de vie plus grande et interconnectée.
De plus, la décision de Grodneva d'abstraire les figures féminines, les dépouillant de caractéristiques distinctes, s'aligne avec le concept de Tikkun Olam sur un niveau symbolique. Cela met en évidence l'idée que la réparation et la guérison sont des processus universels, transcendant l'identité individuelle et touchant à quelque chose de plus profond, de plus collectif. En mettant en lumière ces connexions, le travail de Grodneva encourage les spectateurs à considérer leur propre rôle dans le processus plus large de Tikkun Olam—à se voir comme faisant partie de l'effort collectif pour réparer et restaurer l'équilibre du monde. Le simple fait de s'engager avec son art devient un processus participatif dans cette réparation métaphysique, alors que les spectateurs sont invités à connecter les fragments visuels en un tout cohérent et significatif.
'Chemins Infinis : Le Voyage Féminin à travers l'Unité et la Transformation' est une exposition qui transcende les limites de l'art traditionnel. Le travail d'Evgeniya Grodneva n'est pas seulement une exploration visuelle de l'identité féminine, mais aussi une enquête philosophique profonde sur la nature du soi et sa relation au cosmos. En s'appuyant sur les concepts d'Achdut HaHafachim et d'Ein Sof, Grodneva situe son exploration de l'identité dans le contexte plus large du mysticisme juif, où les opposés s'unissent et l'infini est omniprésent.
De plus, son engagement envers l'idée de Tikkun Olam—réparer le monde—insuffle à son travail un sens du but qui va au-delà de l'esthétique. L'art de Grodneva devient un outil de guérison, révélant les connexions cachées qui nous lient ensemble et contribuant à la restauration de l'équilibre à la fois au sein de l'individu et du collectif. L'interaction minutieuse des formes, des couleurs et des motifs dans son travail fait bien plus que simplement plaire à l'œil; elle met en scène un récit philosophique profond qui invite les spectateurs à réfléchir à leur place dans l'univers et à leur rôle dans le processus continu de réparation cosmique.
Dans cette exposition, Menno van der Linde offre aux spectateurs une opportunité unique de s'engager avec un art qui est non seulement visuellement saisissant mais aussi intellectuellement et spirituellement enrichissant. 'Chemins Infinis' est un puissant rappel que l'identité, comme l'univers lui-même, est un voyage complexe et infini, façonné par l'unité des opposés et le processus continu de réparation et de renouvellement.
Références
1. Scholem, Gershom. Kabbalah. New York : Dorset Press, 1974.
2. Steinsaltz, Adin. The Thirteen Petalled Rose: A Discourse on the Essence of Jewish Existence and Belief. Basic Books, 1980.
3. Buber, Martin. Je et Tu. Traduit par Walter Kaufmann. Charles Scribner’s Sons, 1970.
4. Levinas, Emmanuel. Totalité et Infini : Essai sur l'Extériorité. Traduit par Alphonso Lingis. Duquesne University Press, 1969.
5. Fishbane, Michael. Sacred Attunement: A Jewish Theology. University of Chicago Press, 2008.